Rouge, la couleur de l'art et de l'utopie au pays des soviets
Né de l'enthousiasme et de la créativité post révolutionnaire, l'art soviétique est à l'honneur au Grand Palais jusqu'au 1er juillet avec l'exposition "Rouge : art et utopie au pays des soviets".
La révolution d'octobre 1917 marque un bouleversement politique et géopolitique d'ampleur mondiale.
À l'issue d'un véritable bain de sang entre 1917 à 1920, le pouvoir soviétique l'emporte et doit rapidement s'attirer les "faveurs" du peuple s'il veut perdurer.
Alors, pour asseoir l'impact de cette révolution et de son dogme socialiste, les bolcheviks comprennent qu'ils doivent s'appuyer sur un atout de poids pour leur propagande : l'art.
C'est cet art soviétique bouillonnant des années 20 jusqu'aux années 50, qui nous est conté dans cette exposition unique : "Rouge, art et utopie au pays des soviets".
Voyage vers l'utopie socialiste
Construite autour de plus de 400 oeuvres, pour la plupart jamais montrées en France, Rouge est une véritable immersion artistique dans la Russie soviétique.
Cette exposition nous accueille dès les premiers pas avec une oeuvre emblématique qui donne le ton.
« Pur rouge » est un monochrome d’Alexandre Rodtchenko, l'un des pères fondateurs du constructivisme russe des années 20.
Cette huile sur toile a fait sensation en 1921 lors de l'exposition-manifeste "5x5=25". Il s'agissait, pour les constructivistes de l'époque que sont Alexandre Rodtchenko, Alexandra Exter, Lioubov Popova, Varvara Stepanova et Alexandre Vesnine, de déclarer, à travers cette exposition, la "mort de l'art".
Le ton est donc donné avec ce "Rouge", symbole révolutionnaire.
Dès ce point de départ, nous suivons alors une sorte de parcours chronologique imaginé par Nicolas Liucci-Goutnikov, conservateur au Musée national d’art moderne.
Bienvenue dans l'art prolétarien
La première partie de l'exposition s'ouvre sur les premières années du communisme. Déjà dès 1918, l'art figurait comme priorité du régime, afin de mobiliser les masses.
Ouvriers - Kouzma Petrov-Vodkine (1926) |
En mars 1918, le "Décret n°1 sur la démocratisation des arts" est rédigé par Vladimir Maïakovski. Dans l'esprit des "futuristes", l'art doit s'astreindre des contingences bourgeoises traditionnelles et s'exprimer désormais pour les masses. Il doit prendre sa place non plus dans les palais et musées, mais dans l'espace public, dans un but social.
L'expansion artistique devient une priorité en tant qu'outil de propagation des thèses communistes et comme outil de propagande.
Carte blanche est donc donnée aux artistes pour mettre en avant des dispositifs d'"agitation et de propagande". C'est le cas avec notamment des trains destinés à sillonner la ligne de front.
Carte blanche est donc donnée aux artistes pour mettre en avant des dispositifs d'"agitation et de propagande". C'est le cas avec notamment des trains destinés à sillonner la ligne de front.
Après la révolution, l'art soviétique s'exprime sur de nouveaux supports. Avec le théâtre, le cinéma, l'affichage et les arts imprimés.
Mais également à travers les objets du quotidien, le design d'intérieur ou l'architecture moderniste.
Mais également à travers les objets du quotidien, le design d'intérieur ou l'architecture moderniste.
Cette période voit différents groupes artistiques cohabiter et s'exprimer, en l'absence d'un dogme artistique officiel.
Cet art de production efface alors l'art de chevalet. Il brasse autour de lui tout un flot bouillonnant de créativité et d'enthousiasme post-révolutionnaire.
Cet art de production efface alors l'art de chevalet. Il brasse autour de lui tout un flot bouillonnant de créativité et d'enthousiasme post-révolutionnaire.
En bas on a faim, parce qu'en haut on s'empiffre |
Le tournant du réalisme socialiste
Un peu comme le tournant de la rigueur en 1983, la seconde partie nous offre un tournant dont seuls les socialistes ont le secret.
Elle nous emmène en effet vers un (dur) retour à la réalité.
À partir de 1929, en effet, le pouvoir se concentre entre les mains de Staline. Ce "Grand tournant" met un terme à la "NEP", la nouvelle politique économique de Lénine.
Staline a peu à peu étendu sa mainmise sur le parti et fait place nette autour de lui. Avec ce "Grand tournant", qu'il présente comme une révolution culturelle, il peut éradiquer les "ennemis de classe" et les "saboteurs".
C'est à cette période que le parti commence à mettre en marche l'idéologie officielle du «réalisme socialiste».
Le pluralisme culturel défendu par certaines factions du parti a fait long feu.
Et en 1932, les groupes artistiques sont tous dissouts et remplacés par des unions professionnelles. Les récalcitrants sont éliminés a l'issue de la "Grande terreur" et des procès de Moscou (1936-1938).
L'apogée de l'idéal stalinien
L'exposition nous dirige vers l'avenir radieux du socialisme. Staline ayant fait place nette autour de lui, il peut engager l'art soviétique vers son apogée.
Cette période sera porteuse de l'idéal communiste : une culture de la vigueur et de la force, prônant le triomphe de l'homme sur la matière. Ce qui n'est pas sans rappeler le culte aryen pour le corps.
La représentation artistique qui en découle est celle du dépassement de soi, du culte du groupe et du sportif.
Parallèlement, l'expression architecturale de l'époque se constate dans la profusion de projets et de grands travaux, à l'instar de la ville hitlérienne, la ville stalinienne doit sortir de terre. Ce sera la nouvelle Moscou avec son magnifique métro.
Cet ensemble architectural rompt avec le constructivisme et se ré-approprie les bases de l'ornementation et du classicisme tsariste.
Cet ensemble architectural rompt avec le constructivisme et se ré-approprie les bases de l'ornementation et du classicisme tsariste.
Cet élan vers un avenir radieux s'exprime avec le culte du héros soviétique, et de la technologie. Il est dépeint par la création de figures mythiques, qui touche tous les secteurs de l'art.
L'iconographie méritante de Lénine et de Staline trouve ici son paroxysme. Et l'on retrouve alors les vagues de diffusions de cartes postales, que l'on avait connu au lendemain de la révolution.
Ce que l'on retient de Rouge
Mieux saisir le passé pour comprendre son temps et anticiper l'avenir. Voilà en quelque sorte la raison d'être de cette exposition.
À la vue des figures de la dictature et de l'oppression, mises en scène de façon très esthétique, on comprend l'importance et la nécessité de contrôler l'art quel que soit le régime politique.
Ce qui est ironique, c'est que cette exposition se déroule dans un pays en pleine crise.
Accéder au Grand palais nécessite de traverser des cordons de gendarmes mobiles et de policiers. Et se retrouver à l'intérieur, entouré de figures de la dictature du prolétariat, donne le même sentiment d'oppression qu'à l'extérieur.
Dehors, une crise presque prolétarienne se fait jour, qui pourrait rappeler des prémices de la révolution russe.
Voilà de quoi y trouver un enseignement.
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