LACN n°21 juillet-août 2007 : Clap sur la tristesse cannoise

A Cannes, c’est toujours comme ça ; Sitôt la cérémonie de clôture terminée, tout le monde pousse un ouf de soulagement et se précipite dans sa chambre d’hôtel pour se changer et partir en vitesse. 


Clap de fin


Les robes de soirée et les bijoux à peine rendus (voire jamais), et voilà que la croisette est déjà désertée de ses stars. Quant au tapis rouge, il disparaît honteusement en l’espace d’un petit quart d’heure. Tout s’évanoui si vite que l’on a à peine le temps de dire au revoir et merci. Enfin, merci, c'est un bien grand mot.

Le résultat des délibérations du jury inspire autant d’effet dans les esprits. 

A peine énoncé, le verdict est déjà jeté en pâture aux journalistes et les critiques fusent de tout côté. 

Celui du 60ème festival a eu un effet instantané. Sitôt dit et sitôt fait, tout le monde s’est déchaîné. Une fois de plus, Cannes aura donc réussi à faire débat.


Fidèle à sa mauvaise tradition

Le festival a fait la part belle aux œuvres du bout du monde ou de pays inconnus. 

Et cette année, plus elles abordaient des sujets graves et dramatiques, tristes et déprimants, plus leurs chances étaient réelles d’emporter un prix. Vive les larmes et le désespoir.

S'il vous plait, pour mange

Le lauréat de la 60ème édition est donc un roumain qui nous décrit par le détail un avortement clandestin sous Ceaucescu. 

Le réalisateur a souhaité situer l’action dans un vieil hôpital vétuste et délabré, ce qui a fait jubiler le jury. ‘’4 mois, 3 semaines, 2 jours’’ est le vainqueur de la palme d’or, récompensant le talent du cinéaste roumain Cristian Mungiu dont c’était le grand bain en compétition officielle. 

Les interminables plans séquences ont certainement remporté les faveurs du jury. La pauvre jeune femme souffre ! Le public verse des larmes et s’ennuie, quelle joie indicible ! Vite, une Palme d'Or !

Gageons que la palme d'Or de l'an prochain sera ce pitch sublime d'un premier long (très long) métrage d'un réalisateur soudanais du sud qui a toutes ses chances d'être plébiscité par le jury et du président du festival, Gilles Jacob :
« Je suis un paralysé dans un fauteuil, esclave sexuel d'un grand patron du CAC 40, et je bats des paupières pour dire qu’il manque du sucre dans mon café, café que tente d'empoisonner mon ex-femme pour toucher ma pension handicap. Mon périple commence le matin pour quitter mon immeuble de 46 étages sans ascenseur et rejoindre l'antenne Pôle Emploi car j'ai été licencié abusivement et je peine à retrouver un travail puisque toutes les portes se referment devant moi. Après 2h45 de film, et de longs plan séquence comme aime le jury de 61ème festival de Cannes, je réussis à sortir de mon immeuble et me retrouve sur le trottoir. Pour tourner à droite, je clignote à droite. Par contre en descente, je freine avec les dents. » 

Mon œil ! 

Sur la croisette, on aime les sujets forts, voire sans espoir. Hum, c’est bon (Branlette intellectuelle de Gilles Jacob et orgasme).

Alors, après le voyage en Roumanie, le jury s’en est donné à cœur joie, direction l’hospice. 

Présidé par Stephen Frears, un habitué des comédies potaches au meilleur de sa forme intellectuelle, le jury a récompensé l’intensité dramatique et les ressorts de mise en scène imprimés par Julian Schnabel dans ‘’le scaphandre et le papillon’’. Résultat ; prix de la mise en scène.

Prime à la dépression et au suicide collectif

Pour cultiver son état dépressif, rien de mieux que d’apprécier l’interprétation larmoyante de la comédienne sud coréenne Jeon Do-Yeon pour ‘’secret sunshine’’ de Lee Chang-Dong. 

Une très belle histoire que celle d’un mari décédé et de sa femme contrainte de déménager avec son fils malade. 

N’oublions pas non plus l’interprétation de son homologue masculin, Konstantin Lavronenko dans ‘’le banissement’’ d’Andrei Zviaguintsev. Une famille meurtrie quitte la ville pour la campagne ou s’exacerbent leur profonde douleur et leurs interrogations existentielles. Formidable.

Dans ce joyeux tableau, si vous ne vous étiez pas encore tiré une balle dans la tête, il ne manquait plus que des adolescents torturés et désœuvrés. 

Heureusement Gus Van Sant est là, incomparable chercheur de nouveaux talents suicidaires qui ne filme que pour passer à Cannes. 

Inclassable aussi, à moins de le mettre dans la catégorie films chiants, ou film à voir avant de brancher le gaz de la cuisinière, auquel cas la liste aurait été particulièrement longue et la concurrence féroce cette année. 

Le jury a donc décidé de créer pour lui un prix spécial ; le prix du soixantième anniversaire. L’avantage, c’est qu’on ne le retrouvera pas l’an prochain. On appelera cela : le prix spécial du suicide.

N’oublions pas bien sûr le Grand Prix du festival, décerné cette année à un long métrage japonais de Naomi Kawase. Une bien belle et joyeuse histoire de deuil à la suite d’un dramatique accident de voiture, filmé avec moult détail. La scène des larmes de la femme en pleurs dans l'hôpital aurait parait-il énormément plue à Gilles Jacob à tel point qu'il aurait demandé à la revoir plusieurs fois.

Encore un grand moment de cinéma également avec le prix du scénario, décerné au film turc de Fatih Hakin. ‘’De l’autre côté’’ relate la palpitante histoire d’un veuf qui décide de vivre avec une prostituée turque pratiquant son art en Allemagne pour payer les études de sa fille esclave sexuelle et battue quotidiennement par de dangereux mafieux islamistes. Le spectateur y verse plusieurs larmes. Magnifique ! (Les mauvaises langues auraient signalé une éjaculation de Gilles Jacob pendant la projection).

Comme toujours à Cannes, les bons films sont la risée du jury et du Président

Du côté des bides, les films mal accueillis ont été légion, comme toujours. Notons ‘’No country for old men’’ des frères Coen, ‘’Zodiac’’ de Fincher, ‘’Grindhouse ; boulevard de la mort’’ de Tarantino, sont passés inaperçus aux yeux du jury.

Il faut dire que ce sont des films qui plairont au grand public. Même Wong Kar-Wai et Emir Kusturica ont été oubliés ! Ne parlons pas d’Ocean’s 13 dont le côté divertissant n’a intéressé absolument personne. Comme d'habitude, c'est la prime à l'emmerdement.

Finalement, il fallait aller du côté de l’animation pour avoir un peu… d’animation. 

‘’Persepolis’’ de Marjane Satrapi obtient le prix du jury. Oups ! Le jury se serait-il enflammé ? 

Heureusement, histoire de calmer les ardeurs, le prix a été remis ex-aequo avec ‘’lumière silencieuse’’ de Carlos Reygadas. 

‘’Lumière silencieuse’’ ou comment un mennonite mexicain trahit sa femme et ses convictions religieuses dans les bras d’une autre, s’attachant le courroux de Dieu et des membres de sa communauté. Quelle joie.

Un formidable festival ! 

Après tout cela, on comprend pourquoi la croisette a été désertée aussi rapidement. En conclusion, on s’amuse beaucoup plus au festival de Cannes du film publicitaire… 

Par ailleurs, aucune statistique ne nous est parvenue sur les maux de tête et sur les ventes d’antidépresseurs pendant la quinzaine, mais on soupçonne une consommation frénétique.

Sera-t-on là l'an prochain ? Vive Venise et Berlin !

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