Attention ! Voilà DERRICK !

Entrons dans notre grenier et découvrons un monument du paysage télévisuel, une saga qui à phagocyté tous nos écrans de télévision pendant des décennies, spécialement en début d’après-midi. Attention, voilà Derrick !

Du haut des ses années TV, Derrick vous surveille sur LACN



Danger sur les ondes


Le nom fait frémir. Ce programme est ancré dans l’inconscient collectif ! Impossible d’échapper à celui qui arbore sa gabardine comme une arme de destruction massive, au maître de l’intelligentsia policière, à l’homme qui porte deux valises sans les mains, qui facilite le transit intestinal et la digestion encore plus efficacement qu’un Danacol. 



Bref, mesdames et messieurs, voici le Maalox de la télévision, j’ai nommé Stephan Derrick !

Du haut des ses années TV, Derrick vous surveille sur LACN
Derrick fait la moue à la plage. Aouh tcha-tcha-tcha...

Sort de ce corps, DERRICK !

DERRICK est la série qui a vu naitre l’inspecteur de police le plus moralisateur et neurasthénique de la création. En cela, c’est le show le plus marquant de la télévision.
Il suffit d’allumer son poste à 13h45, pour entendre le générique et deviner que nous allons affronter une nouvelle épreuve.

La musique des Humphries explose à nos oreilles et agit comme un réveil, puis elle change de rythme et nous berce lentement. L’effet est immédiat : c’est l’heure de la sieste.

Voilà maintenant les premières images. Elles s’imprègnent lentement dans nos cerveaux.

A peine notre regard croise-t-il cet univers vieillot, terne, gris, que tout notre corps se met en veille.

Le ciel est nuageux, le héros pose sur nous un regard triste et scrutateur. Ses yeux globuleux nous font frémir puis nous hypnotisent. Sans parler de ses horribles cernes sous les yeux. Le malheur va s’abattre ! Voilà DERRICK.
le duo d'inspecteurs Harry sur LACN
EH, Touche pas à la cafetière !

Effet soporifique garanti

Enfin, pour enfoncer le clou, le casting impose son traumatisant effet soporifique. Le charisme froid et désabusé de l’inspecteur Stephan Derrick s’accommode bien avec le côté séducteur plan-plan de son "jeune" chien fou Harry Klein.
Autour d’eux gravite tout le gratin de la police munichoise, notamment L’inspecteur Berger, leur fidèle larbin, qui répond au téléphone, ouvre les portes, introduit les témoins lors des interrogatoires et apporte le café. Mais sans pratiquement dire un seul mot, l’acteur ayant peur d’oublier son texte.


dégustation de café pour Derrick, chez LACN
Pause détente et temps de la réflexion à Caméra Café

Et pendant ce temps-là, le téléspectateur s'endort lentement. Et, c
ontrairement à ce que l’on pourrait croire, la série a été tournée à vitesse réelle et non au ralenti.

Monument international

DERRICK fait donc partie de ces séries policières psychologiques comme MAIGRETCOLUMBO, ou HERCULE POIROT. Elles sont portées par la personnalité de leur héros. 

S'agissant d'hommes âgés, les enquêtes prennent forcément le rythme de progression de l'inspecteur, particulièrement lent, afin que le public comprenne et enregistre parfaitement la subtilité des intrigues.

A l’instar de MAIGRET, nous retrouvons dans DERRICK un bureau austère et dépouillé ainsi qu’un matériel antédiluvien.

L'enquête sur le vol du protège-slip de Frau Hauerbach progresse. Derrick touche au but.
Le vieux bureau de Stephan est installé à côté du vieux bureau d’Harry. On y trouve la petite machine à écrire, et plus loin un petit frigo, une petite machine à café, un petit lavabo, une petite penderie, une petite armoire pour ranger les dossiers et enfin, une petite chaise pour faire assoir le suspect. Il y a toujours un petit suspect d'ailleurs, faute de budget.

L'heure de l'interrogatoire

Commence alors la litanie des questions. Les réponses fusent rarement, il faut souvent répéter les questions au moins deux fois pour que les mamies encore éveillées comprennent bien de l'autre côté de l'écran.

Une réponse génère invariablement de longs moments de silence chez nos deux policiers. 

L’information doit parcourir son chemin tortueux jusqu’au cerveau, puis redescendre afin d’engendrer une autre question, mais cette fois plus subtile ou différente.

Nos deux acteurs étant des professionnels dignes de l’Actor Studio, ils usent et abusent du temps de réflexion, pour faire plus réaliste.

Cela permet au réalisateur d’effectuer de longs gros plans cadrés sur le visage de notre inspecteur. D’où cette image traumatisante d’un Derrick en plein travail intellectuel… 

Vous dites bien que vous étiez chez Frau Hauerbach mercredi après midi, Herr Mühler ?


« … »


Et Herr Neumann était donc présent, Herr Mühler ?


« … »


Avez-vous vu Herr Neumann chez Herr Schmidtt, Herr Mühler ?


interrogatoire au bureau de LACN pour Derrick

C'est donc sur ces bases que DERRICK est devenu un succès mondial, croyez-le ou non.


La genèse d'un succès

Comment est-ce possible ? Remontons à la source, comme de fins limiers.

derrick n'est pas un tire au flan chez LACN

C'est à la fin des années soixante que la ZDF décide de lancer de nouvelles séries policières, encore plus palpitantes, destinées à contrer la concurrence des programmes américains.

On voit alors apparaitre sur les écrans allemands des héros récurrents réunis dans un seul but, chasser le crime avec fermeté, mais tact. Ce sont alors DER KOMMISSAR à partir de 1969, puis LE RENARD et TATORT.

DER KOMMISSAR est tout simplement le prédécesseur de DERRICK. Comme notre héros, il est munichois. 

Ils sont tous munichois d’ailleurs, car cela permet une économie d'échelle et un recyclage des mêmes décors dans les locaux de la Bavaria Film Studio

L’auteur n’est autre qu’Herbert Reinecker qui est aussi à l’origine de la création de DERRICK.
Pour cause fin de contrat, DER KOMMISSAR est stoppé en 1974 et remplacé par DERRICK


Une scénarisation subtile

Histoire que la transition se passe en douceur, le changement est orchestré grâce au personnage d’Harry Klein

Alors que son supérieur et héros principal part en retraite, Harry, son jeune lieutenant dans DER KOMMISSAR, est transféré dans un autre bureau, celui de DERRICK. Et voilà comment apparaît notre inspecteur ! 

Immédiatement, le public s'identifie. Car DERRICK, c’est avant tout un look inimitable pour l'époque, au sommet de la mode, et un sex-appeal démesuré.


la seduction est la clé du succès de derrick pour LACN

Relativement grand, il impressionne dès le pilote de la saison 1. Ses yeux globuleux, ses cheveux poivre et sel et son imperméable gris véhiculent immédiatement une discipline de fer au personnage.

Il sera intransigeant, calme et implacable mais surtout, histoire de se démarquer des séries américaines, il ne devra jamais se battre, ni s’énerver, ni utiliser son arme ! Il devra être au contraire rassurant et compréhensif.

Résultat, avec un tel cahier des charges, dans chaque épisode il traitera toujours les témoins de la même façon, dans un langage posé et jamais avec un mot plus haut que l’autre.

L'objectif  avoué des auteurs : créer une tension dramatique insupportable autour de ses interrogatoires. « Ich wiederhole Herr Mühler. Vous dites bien que vous étiez chez Frau Hauerbach mercredi après midi, Herr Mühler ? », « … », « Et Herr Neumann était donc présent, Herr Mûhler ? », « … », « Avez-vous vu Herr Neumann et Herr Schmidtt, Herr Mühler ? ». Oui, c'est vraiment insupportable !

Dévoué à son métier

Stephan Derrick est donc tout entier dévoué à son métier, toujours prêt à quitter son bureau ou son domicile pour se rendre sur les lieux d’un crime, toujours prêt à sacrifier sa seule passion, les matchs de football du Bayern de Munich, pour le service de la justice. 

En un mot, Derrick est une bête de travail ! Cela se voit sur son visage.
Quant à sa vie privée, inutile d’en parler, elle n’est jamais mentionnée au cours de la série. L’auteur a délibérément évacué de son personnage toute cette matière dramatique pour mieux se focaliser sur les intrigues et l’activité intellectuelle de notre héros.

On sait seulement qu’il est divorcé et qu'il est resté célibataire, statut qu’il prône largement autour de lui, au point d’influencer son adjoint Harry, lui aussi vieux garçon, et dont la seule passion connue est la collection de cartes téléphoniques.


la passion de derrick pour les sacs de voyage pour LACN

Ce couple à l'écran est tout à fait caractéristique des héros policiers. Ils forment un duo inséparable, font presque tout ensemble et jamais l'on ne connaît ni leur passé, ni leur vie privée.
Au fil des ans, le personnage va très peu évoluer, voire pas du tout. L'avantage, c'est que l'on peut passer de l’épisode 7 à l’épisode 259 sans s’en rendre compte. 

Derrick restera toujours moralisateur, pétri de traditions, renâclera aux poursuites et aux cascades, utilisera à peine son arme de service, roulera toujours dans une BMW et continuera à travailler dans le même bureau avec le même mobilier toujours aussi austère.

25 saisons en enfer 

Au cours des 25 saisons, un record pour une série policière, DERRICK va nous gratifier de 281 épisodes durant lesquels il devra faire face à des situations macabres comme des meurtres liés à des histoires de famille, des meurtres liés à des histoires de drogue, des meurtres liés à des histoires d’espionnage industriel, des meurtres liés à des histoires de vengeance. Souvent d'ailleurs dans un cadre familial...

derrick toujours en avance d'une technologie sur LACN

Dans tous les cas, notre inspecteur affronte tout ce que le milieu du crime a de pire, des industriels ou financiers véreux aux petites frappes des bas fonds de Munich.

A chaque fois, c’est l’occasion pour les auteurs de dresser un portrait social du monde contemporain et, pour notre héros, de rétablir l’ordre en confondant les coupables au cours d’enquêtes laissant la place à de longs interrogatoires entrecoupés de longs bavardages existentiels entre Derrick et Harry.

C’est également pour nous l’occasion de retrouver toujours les sept mêmes comédiens ! Une économie de casting impressionnante et toujours des numéros d’acteur hors du commun. Car n’oublions pas que tout le budget est investi dans les bibelots décorant l’intérieur des maisons de poupée des suspects…

Fin programmée

Mais il arrive un jour où les gens se lassent. Au bout de 24 années de bons et loyaux services, la concurrence commence à se faire sentir et les enquêtes poussives de notre inspecteur intéressent de moins en moins de monde.

Et puis, la limite d’âge fait également son office. Du comédien principal au scénariste en passant par le producteur, l’ensemble du staff est septuagénaire.

Notre héros est moins fringuant pour poursuivre les malfaiteurs. Il faut donc trouver une solution.

Plusieurs scénarios sont envisagés, et vont même jusqu’au meurtre de Derrick mais le public n’est pas prêt à voir son idole trépasser.

Il faut donc une fin fidèle à l’image de marque de l’inspecteur. Pour la petite histoire, c’est sous la forme d’une promotion à Europol que Derrick s’effacera le 17 décembre 1997. Derrick à Europol, avouez que cela a de la gueule !

Dans le dernier épisode, il tirera donc sa révérence et quittera Munich pour Bruxelles, une fois, après vingt-quatre ans de bons et loyaux services et surtout 281 épisodes mémorables.

Pendant sa brillante carrière, Derrick aura démasqué 282 coupables, aura vu 344 cadavres et n'aura dégainé son arme que 10 fois.

Seulement 3 meurtriers lui auront échappé, surtout au début de sa carrière, il y a donc prescription. 

Ces statistiques éloquentes font de lui un des flics les plus efficaces. Au point d’avoir séduit 102 pays qui continuent à diffuser ses exploits, dont le notre.


Derrière le plus grand flic d'Europe

Eh oui, il n’y aurait pas de DERRICK sans l'immense Horst Tappert !

Né le 23 mai 1923, c’est presque par hasard qu’il effectue ses premiers pas dans le milieu du théâtre allemand.

Il excelle particulièrement dans les rôles du théâtre contemporain grâce à son port de tête altier et côtoie les plus grands noms du théâtre allemand.

Il embrasse au début des années soixante une vraie carrière à la télévision et apparaît à de nombreuses reprises dans des rôles de gentlemen cambrioleurs.

Puis, c’est en 1974 qu’il incarne pour la première fois à l’écran le rôle de l’inspecteur bavarois, un rôle qui l’accompagnera jusqu’à la retraite. C'est le 13 décembre 2008 qu'il nous quitte, à 85 ans.
rare photo de derrick jeune pour LACN

Indissociable de l’inspecteur Derrick, il y a Harry Klein le fidèle lieutenant. Pour endosser ce rôle, Fritz Wepper a été le choix naturel des producteurs bavarois. C’est sur lui que compta la chaîne ZDF pour attirer les téléspectateurs vers DERRICK. Pari gagné en l’occurrence.

Pourtant, contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’a pas eu que la télévision et DERRICK à son répertoire.

On l’a vu notamment apparaître aux côtés de Liza Minelli dans CABARET et il compte plus d’une quinzaine de longs métrages à son actif.

Bon, eh bien puisque l'effet soporifique de cet article se fait sentir, je vais immédiatement éteindre le poste...


3 commentaires:

  1. MON DIEU ! Qu'apprends-je aujourd'hui ! Derrick était Waffen SS dans sa jeunesse hitlérienne ! Tout un pan de mon éducation télévisuelle s'écroule soudain. Et tant de questions surgissent. Et s'il avait fait passer à l'écran des messages subliminaux à la gloire du Führer ? J'imagine déjà des nuées de petits vieux endoctrinés dans leurs maisons de retraite pendant leurs débuts d'après-midis.
    Et puis je m'interroge aussi sur "Papa Schultz", on devrait mener une enquête fouillée, le comédien était sans doute un affreux gardien de square pendant la guerre et terrorisait les enfants.
    Résultat, je ne sais pas quoi en penser.

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  2. Je rectifie quelques petits éléments. Vous dites que Derrick n'a aucune vie privée. Si ! à deux reprises, et pour chaque fois deux ou trois épisodes, il a une femme dans sa vie : la première est une certaine Ariane, décoratrice d'intérieur, la seconde une psychologue prénommée Renate. Mais les aventures amoureuses de l'inspecteur ne durent pas : il est trop pris par son métier. Deuxième chose : vous dites que le personnage n'évolue pas du début à la fin de la série. Là encore, si, il évolue. Au début, Derrick est glacial, intransigeant, volontiers agressif avec ses adjoints, très peu aimable. A partir de 1988-89, il s'humanise. Ses yeux globuleux le font ressembler à un basset docile et il devient accommodant, gentil, compatissant. Cela dit, à partir de la fin des années quatre-vingt, l'inspecteur sexagénaire ne peut plus courir ni jouer du pistolet ; les histoires sombrent alors dans un psychologisme d'un ennui vertigineux. Mais bravo pour votre analyse, très bien menée, bien écrite et souvent fort drôle.

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  3. Un dernier détail : au tout début de la série, la série emprunte une partie du canevas de Columbo. Autrement dit le crime et l'assassin nous sont connus dès le départ et montrés directement au téléspectateur. Du coup, ce n'est pas la découverte du coupable qui primait mais plutôt comment Derrick allait le confondre. Devant la volée de bois vert de la part du public allemand, au bout de seulement 10 épisodes, le concept est abandonné pour un schéma plus traditionnel : un crime a été commis par moyen inconnu et un individu qui n'est pas montré et ce qui primera à partir de là sera la découverte du coupable par Derrick mais aussi la révélation de son identité auprès du téléspectateur.

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